vendredi 26 novembre 2021

La patience est l'art d'esperer

 


«La patience est l’art d’espérer.»




Cette phrase est une citation. Une citation de l’introduction à «la connaissance de l’Esprit humain», un livre avec un titre un rien pompeux qui date de 1746, écrit par Luc de Clapliers, marquis de Vauvenargues. 


Luc de Clapiers est un moraliste et un aphoriste. Et si vous ne le connaissez pas, c’est plutôt normal, car il n'est pas surprenant qu'au siècle des Lumières le nom d'un moraliste fût condamné à demeurer dans l'oubli. 


Intéressons nous à cette phrase: «La patience est l’art d’espérer».  Dans la citation, il s’agit du verbe «être», et pas de la conjonction de coordination. J’ai d’abord été perplexe, pour le moins, devant cette phrase ! D’abord, parce que c’est une affirmation, et que l’auteur est un aphoriste, un de ces hommes qui parlent avec des citations. Cette phrase me semble donc  être péremptoire et sentencieuse. 


La patience est-elle l’art d’espérer ? Finalement, cette planche vous parlera de la patience et de l’espoir. 


De la patience...


Cette citation, «La patience est l’art d’espérer» limite la patience à l’espoir, or, en réalité, la patience n’a pas grand-chose avoir avec l’espoir, et je vous expliquerais pourquoi un peu plus tard. 


Mais qu’est- ce donc encore que la patience ? Elle a plusieurs définitions qu’il serait pénible d’énumérer ici, mais il y en une qui me plaît bien: 

«Qualité qui consiste à persévérer dans une entreprise longue et pleine d'obstacles»


Il s’agit de persévérance, de la constance à faire quelque chose et à poursuivre un dessein. La patience est une construction intellectuelle, un mode d’action. Certes, c’est souvent de ne rien faire et d’attendre, mais c’est une action malgré tout. De même que ne pas choisir, c’est quand même choisir. 


En toute époque, on a écrit sur la patience : d’Horace à Shakespeare, en passant par La Fontaine, Voltaire ou encore Plutarque, la patience a toujours été comprise comme une vertu intrinsèque pour atteindre la sagesse. Les vertus de la patience sont célébrées par l’expression « Tout vient à point à qui sait attendre », de l'œuvre de Clément Marot, poète français né à la fin du XVe siècle. Son sens est transparent et développe l’idée que l’on arrive à tout avec de la patience et du temps.

Il est également intéressant de rapprocher cette expression de la célèbre citation qui clôt l’ouvrage «Candide» de Voltaire : « Il faut savoir cultiver son jardin ».

Cet adage nous invite à la sagesse, à prendre le temps de planter les graines de nos succès futurs. 

Dans le même esprit, une petite nuance en plus, La Fontaine a marqué de son sceau nos références avec la célèbre morale de la fable «Le lion et le rat» : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », ainsi il faut s’armer de patience pour obtenir quelque chose, la loi du plus fort n’étant pas forcément la meilleure. Le temps est donc mère de la patience, il fait incontestablement bien les choses. 


« Assieds- toi au bord de la rivière, si tu attends assez longtemps, tu finiras par y voir passer le corps de ton ennemi » disait Lao Tseu.

La patience est une vertu maçonnique, que l’on éprouve déjà avant même l’initiation, en patientant de longs mois entre notre lettre au Vénérable Maître et les entretiens, puis en patientant de longues minutes qui semblent des heures dans le cabinet de réflexion, et puis finalement l’initiation. 


Cette patience, nous allons l’endurer en tant qu’apprenti, pendant le temps nécessaire, certes, mais qu’il peut sembler long ce temps où nous devons rester muets. 

Enfin, la patience, cet outil indispensable du maçon, car il en faut de la patience pour polir chaque jour sa pierre brute. 


La triangulation de la demande de la parole fait également appel à la patience. On ne prend pas la parole directement, comme dans le monde profane, on ne coupe pas la parole, et il faut mûrir son propos, et s’en rappeler, quand, dans le monde profane, nous disons bien vite ce que nous avons en tête. Il arrive aussi que nous prenions notre mal en patience, en entendant certain propos, propos que l’on aurait pas accepté dans le monde profane.  Enfin, si je vous ennuie, si vous n’êtes pas d’accord avec mon propos, ou si je suis mauvais orateur, il vous en faudra, de la patience, pour m’écouter jusqu’au bout, sans manifester trop ostensiblement votre désapprobation, ou votre lassitude.


La patience est une stratégie. Il s’agit d’agir au bon moment. C’est réfléchir à la situation, et décider de ce qu’il faut faire. Attendre, ou pas.  En cela, la patience est une qualité qui s’obtient avec la raison. 


Dans les années 70, des scientifiques anglais ont fait une expérience, offrir une délicieuse guimauve à des enfants de moins de 5 ans, en leur proposant un marché : s’ils parviennent à patienter 15 minutes avant de la manger, alors on leur en donnera une deuxième en guise de récompense. Et comme un enfant n’arrive pas à être patient avant l’âge de 5 ans, vous imaginez le résultat de l’expérience... 


La patience est une qualité qui s’obtient avec la raison. La raison, donc, cette faculté proprement humaine qui permet de discerner la vérité de l’erreur, le vrai du faux, le bien du mal. A partir de la raison, nous avons développé la science, l’éthique, et le doute. 


La patience est donc du domaine de la raison. 



De l’espoir ...

 

En parlant d’espoir, il y a-t’il un espoir maçonnique? Il me semble que non. La maçonnerie n’est pas une révélation, il n’y a rien à espérer. On y trouve point d’espoir, mais que ce que l’on apporte, et ce qu’apportent les autres. 


D’abord, parlons définition de l’espoir: «Attente de la réalisation de quelque chose dont on n'est pas objectivement certain.»


Contrairement à la patience, l’espoir se caractérise par l’absence de maîtrise que nous avons sur lui.  Sans parler de la crainte, le jumeau diabolique de l’espoir. L’attente incertaine d’un mal à venir. Nous ne pouvons pas espérer quelque chose, sans craindre que cela n’arrive pas. Il nous faut donc considérer que l’espoir n’est en réalité jamais seul dans nos têtes. 


«Tu cesseras de craindre, si tu as cessé d’espérer.» disait Sénèque.


Loin d’encourager le changement, l’espoir éteint les révoltes. Il rend tolérable la servitude et facilite la résignation. Qu'importe le froid, qu'importe l'injustice, quand il reste l'espoir ? Bien sûr, comme tout refus de la réalité, l'espoir ne supprime pas plus la souffrance que l’antidépresseur n'agit sur les causes d'une dépression. Alors on espère comme on s'exile, et tout est moins dur le temps que ça dure. 


On peut tout infliger à celui qui vit dans l'espoir. Sans espoir, pas de servitude, ni de reddition. «L'espoir est une vertu d'esclave.» disait Emil Michel Cioran.

L'espoir n'est pas une flamme, mais un éteignoir, un palliatif à la contestation.

De quoi témoigne celui qui dit "vivre de l'espoir", sinon que sa situation est précisément désespérée puisque, hors de l'espoir, il ne vivrait pas. “Si l’espoir fait vivre, ceux qui vivent d’espoir meurent de faim.”disait notre frère Benjamin Franklin.


Espérer, c’est nous en remettre à l’inconnu, à l’aléatoire, c’est reconnaître que nous n’arrivons pas à diriger notre propre existence. N’est-ce pas une forme de démission, une manière d’entretenir notre incapacité à décider par nous-mêmes et pour nous-mêmes?

Le fait même d'espérer fait que l'espoir est vain. De l'attente anxieuse à l'utopie d'un monde parfait, du regret à l'inquiétude, tout ce qui ressemble à de l'espoir témoigne d'un manque de connaissance. 


"N'ayez ni la foi ni d'espoir, mais une connaissance juste du jeu des probabilités." disait Louis Scutenaire. 


Si la vie allait de soi, si nous n'avions pas peur du vide, si l'existence était paisible, il n'arriverait à personne de suspendre son bonheur à l’espoir.

Celui -ci est un refuge qui dispense d’agir, disons-le clairement, il est inutile. 

Et cet espoir est distinct de la volonté, de la force du courage ou des pulsions de vie. Ce sont ces choses qui nous font nous surpasser, pas l’espoir. C’est dans notre volonté ou notre courage qu’il faudrait mettre notre confiance. Il nous faut donc arrêter d’espérer. L’espoir nous donne une fausse idée du monde, et une vision biaisé des choses. Nous nous en rendons comptes en comprenant les déterminismes auxquels nous faisons face.  


«L'espoir, au contraire de ce que l'on croit, équivaut à la résignation.» disait Henri Bergson.


Il nous faut arrêter d’espérer et de voir les choses en face, et il ne s’agit pas de se morfondre, de se résigner, de désespérer, ou pire d’être pessimiste ou nihiliste, mais de ne pas se faire d’illusion, et de parvenir à une réelle conscience de soi. L’espoir naît de la tristesse tant et si bien que renoncer à lui, c’est se guérir d’elle. 


Il nous faut donc arrêter d’espérer parce qu’en réalité, nous n’espérons pas, nous croyons. Charles Péguy l’évoque en 1912. 


«Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne que ces pauvres enfants voient comme tout cela se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux»


L’espoir est une croyance, une attente messianique, en réalité, c’est une prière. Nous espérons comme nous prions, et c’est en cela que l’espoir est vain. Si les croyants étaient absolument certains de la réalisation des promesses divines, ils n’auraient à son égard nulle espérance. Et c’est là, la différence entre la patience et l’espoir.



Conclusion


La patience est du domaine de la raison, quand l’espoir est du domaine de la croyance, de la foi. Raison et croyance s’opposent. L’espoir et la patience n’ont pas grand-chose en commun. «Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir», donc l’espoir est infini, mais la patience a des limites. Donc non, selon moi, la patience n’est pas l’art d’espérer, tout au mieux, «l’espoir est l’art de patienter».

Ici, nous travaillons à l’amélioration de la société, et cela doit se faire avec de la patience, courage, et force mais avec lucidité, sans espoir.


Enfin, vous aurez probablement pensé que j’ai mis beaucoup de citations dans cette planche. Vous avez raison, mais c’est à dessein. Puisque c’est une citation que l’on m’a donné comme quatrième morceau d’architecture, je voulais vous montrer qu’avec des citations, on peut appuyer n’importe quel propos.... 

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